Avis bienvenus
DURER
Tout ça, c'est bien beau, bien réussi ; des mots qui claquent puis rebondissent, et toi qui les rattrapes, qui les ranges dans ta mémoire entre le café du matin et le goût de ta cigarette.
Moi, je vends du voyage, cinquante bales pour Monsieur, un plein pour Madame ; et bonne route avec le sourire.
Je suis pompiste, mais j'ai pas de casquette ; note bien que je le regrette un peu question de look.
Je vends de la mort aussi, les pompes c'est comme une loterie, des chiffres qui tournent et puis s’arrêtent ; les jours de pas de chance tu tires la plaque minéralogique du camion d'en face. Un bruit de papier qu'on froisse en plus fort, et tu laisses des larmes, les dernières, et ta photo dans les journaux.
Alors, à force de voir les gens filer, se tirer pour l'inconnu, ça m'a donné une espèce de fièvre ; je voudrais savoir moi aussi; ce courant d'erres, il enrhume mon amour.
Elle est vraiment belle pourtant, et j'ai peur d'en parler. C'est sûr, j'oublierai toujours quelque chose. Parfois je la regarde par en dessous pour pas qu'elle le sache; je lui vole son visage, et je souris de l'intérieur. Parfois ses rêves griffent ma peau, marquent mon corps, autre message…
Seulement voilà, il y a les heures, les minutes, les sonneries, tous ces tic-tac ; cette langue râpeuse qui te lèche d'un peu plus près chaque matin, qui creuse des rides dans ta glace, et qui ne te laisse pour finir qu'une carcasse bien propre, des os blanchis.
Alors moi aussi je regarde la route, peut-être qu'en courant vite, très vite…
Tout ça c'est bien beau, bien réussi, et puis t'oublies. Tu grisailles tes souvenirs, faut faire de la place, il y aura d'autres cafés et d'autres cigarettes. Durer.